Internet, le patient et le psychiatre

Les patients qui viennent nous consulter aujourd’hui se sont de plus en plus souvent renseignés sur leur maladie grâce à leurs recherches sur internet.

Internet leur a permis l’accès à des articles. Ils ont pu échanger sur des forums, écouter les conseils de proches. Mais aussi, ils sont allés sur des sites « spécialisés » dans telle ou telle maladie. Ils ont pu utiliser des applis censées les aider à aller mieux.

Parfois ils ont déjà été consulter un médecin  ayant une formation spécifique. Celui-ci leur aura tenu un discours et prescrit un traitement avec lequel le praticien qui les reçoit n’est pas forcément familier. En fait ces patients ont beaucoup d’informations, souvent éparses, sans avoir une réelle connaissance de ce qui leur arrive.

Au cours de la consultation ils viennent vérifier, sinon valider, leurs informations. Mais il n’est pas rare qu’ils fassent état de renseignements que le médecin n’a pas. Parfois ce sont des notions récentes que le médecin n’a pas eu le temps d’acquérir tant la somme d’informations qu’il reçoit est importante. Il peut aussi s’agir de fake news qu’il n’a pas la possibilité d’élucider.

Le « Qu’est-ce que vous en pensez, Docteur ? » revient souvent dans la conversation.

L’entretien avec un patient ne revêt plus le caractère de ce « colloque singulier » dans lequel le médecin est supposé savoir ce qui arrive au patient qui a confiance en son jugement, son diagnostic et son traitement.

Il s’agit souvent d’un échange d’informations que le médecin doit valider et mettre en forme pour donner un diagnostic (« Qu’est-ce que j’ai, Docteur ? »). Il doit en conséquence prescrire le traitement ad hoc.

Par ailleurs, la représentation de la maladie mentale a sensiblement changé grâce aux campagnes de dé-stigmatisation.

Internet : un changement dans le rapport du patient au psychiatre

Pour nous aider à comprendre les changements qu’induit l’arrivée du numérique en psychiatrie et à considérer la transformation du colloque singulier médecin-malade, nous nous servirons de la distinction que propose Arthur Kleinmann[1] entre ces trois champs difficiles à traduire en français :

  • Sickness : correspond à la représentation de la maladie dans la société,
  • Illness : correspond aux symptômes ressentis par le patient,
  • Disease : correspond au diagnostic biomédical, la maladie à proprement parler décrite par le médecin.

Dans cette nouvelle médecine, le médecin a perdu son statut d’expert, de « supposé-savoir ». On a vu avec internet combien l’information, sinon la connaissance, vient inonder le champ de la relation médecin/malade. L’image de la maladie (sickness) est transformée. Là aussi le médecin a perdu son statut d’expert, de « prêtre » disant ce qu’il en est, ce à quoi tout le monde doit se soumettre. L’histoire actuelle de la vaccination contre le Covid est à ce propos exemplaire.

Il serait vain pour les médecins de s’opposer à cette transformation, de se révolter devant la perte de ce pouvoir; ce pouvoir légitime acquis grâce  aux progrès de la science et gagné de haute lutte contre les superstitions et autres remèdes de sorciers et de charlatans.

La consultation médicale devient un nouvel espace de confrontation élaborative

Entre  ces trois champs :

  • l’image de la maladie et du malade dans la société (sickness) qui aujourd’hui installe la relation médecin/malade différemment du colloque singulier cher à nos maîtres;
  • l’auto-observation du patient avec l’aide d’objets connectés. Cela permet au patient de donner une objectivation à ses symptômes ressentis par lui (illness) dans une confrontation qui doit être constructive avec le diagnostic biomédical (disease);
  • le travail diagnostique du médecin par son observation clinique et ses connaissances (disease) constamment enrichi par les informations qui arrivent en flux continu sur internet.

Par cette sorte de « triangulation » imposée par le monde extérieur, la consultation devient un lieu d’élaboration en commun avec le patient et tous ces éléments que le numérique apporte.

Au médecin d’acquérir la capacité et le savoir-faire pour construire la synthèse de ces trois champs.

 Le parcours d’un traitement : psychiatre, internet, famille

José a 7 ans. Il présente de très importants troubles du comportement aussi bien en famille qu’à l’école. Une hospitalisation en semaine à Sainte-Anne a permis d’éliminer le diagnostic de psychose. Cependant un traitement à l’Abilify a été mis en route. L’effet a été spectaculaire dans un premier temps puis s’est estompé. Les parents sont divorcés.

Lorsque José est pendant la semaine chez son père, qui est très sévère avec lui, il arrive à se concentrer pour apprendre ses leçons et le lendemain il est tranquille à l’école. Lorsque le week-end il est chez sa mère, les troubles réapparaissent.

Le père me téléphone pour me dire qu’il a vu sur internet que l’on pouvait prescrire aux enfants agités et hyperactifs de la Ritaline, qui les aiderait à se concentrer et à être plus calmes. Spontanément je lui dis que ce n’est pas une bonne idée pour José mais que je vais y réfléchir. En fait ma réaction est vive, de façon contre-transférentielle, parce que je suis sûr de mon diagnostic (José ne présente pas de Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité).

Quelques jours plus tard je rencontre à un colloque un collègue professeur de pédo-psychiatrie. Je lui raconte le cas et mon embarras. Il m’explique que je peux, compte tenu de la complexité du cas, prescrire de la Ritaline et même l’associer à l’Abilify. Il me fait toutefois remarquer qu’habituellement la Ritaline se prescrit les jours où l’enfant va à l’école et pas les week-ends. Or dans le cas de José je vais le prescrire le week-end quand il va chez sa mère pour pallier les troubles du comportement, et pas en semaine lorsqu’il est chez son père puisque cela n’est pas nécessaire. Je vais donc innover.

On voit sur ce simple exemple combien la diffusion par internet de la connaissance, ou plus exactement de l’information, a eu comme impact sur la façon dont les parents se sont saisis du trouble présenté par leur enfant. Ils ont proposé un diagnostic, que j’ai discuté avec un collègue pour modifier ma prescription en dérogeant au protocole attaché à la prescription de ce médicament, et après avoir mobilisé mes mouvements contre-transférentiels.

[1] Evolution Psychiatrique : Interview du Pr Arthur Kleinmann : Volume 84 : Janvier/Mars 2019 pp 222-236

Voir l’intervention de Marc Hayat au Webinaire Psyway du 23/11/2021 « Usages actuels du numérique en psychiatrie »

 

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