La téléconsultation enrichit l’offre de soins en psychiatrie : continuité des soins et vie quotidienne

Apport de la téléconsultation psychiatrique

Nous avons largement expérimenté la téléconsultation psychiatrique « en visio » dans le cadre du confinement de 2020 (15 mars-22 juin 2020). Au-delà de cette situation exceptionnelle, il apparaît aujourd’hui que la téléconsultation enrichit les consultations psychiatriques, en même temps que le service rendu aux patient(e)s.

Assurer une continuité des soins, éviter le traumatisme de la peur et de l’isolement étaient les premiers bénéfices, majeurs, des téléconsultations dans le cadre du confinement imposé. La dérogation qui permettait d’aller consulter le psychiatre à son cabinet, « en présentiel », fut peu utilisée. Avec la multiplication des décès, l’appel à limiter de façon drastique les contacts, nos patients ont largement accepté la téléconsultation « en visio ». Et ils ont été, souvent explicitement, reconnaissants lorsqu’on leur offrait cette possibilité.

Pourtant, une fois le confinement levé, la plupart de nos patients exprimaient clairement leur préférence pour la consultation « en présentiel », au cabinet du praticien. La rencontre « en vrai » avec le médecin, directe, de personne à personne.

Pour autant, la téléconsultation est-elle une forme dégradée de consultation?

On pourrait le penser, si pour nos patients, c’est à son cabinet que l’on rencontre au mieux un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute. Objectera-t-on que cette préférence exprime la force des habitudes, l’attachement à un cade cadre convenu, conventionnel, voire routinier ?  Cela ne suffit pas, car nombre d’entre eux précisent une raison. « Ce n’est pas pareil », le « présentiel » offre un cadre « plus humain », « plus vivant »…

Quant aux professionnels, ils sont également attachés à cette rencontre de personne à personne « en présentiel ».  A juste titre et pour les mêmes raisons que leurs patients. Néanmoins, nous pensons qu’il ne faut pas fétichiser cette forme centrale de la rencontre médecin/malade au cabinet. Et nous ne devons pas craindre que l’introduction de la téléconsultation dégrade cet échange.

Car en effet, cette crainte d’une dégradation sous-tend beaucoup de jugements qui déprécient excessivement la téléconsultation. Jugements peu fondés à notre avis, et surtout peu ouverts aux surprises qu’offre cette pratique nouvelle. Comme si on ne pouvait l’utiliser qu’à regret. Ainsi le dispositif technique, les écrans sont censés modifier trop le contact médecin malade. Cet échange deviendrait trop proche, ou trop lointain, ou trop focalisé sur le visage, etc… Pour toutes ces raisons, la téléconsultation conviendrait pour une prescription médicamenteuse par exemple. En revanche, elle modifierait excessivement le vécu intime de la consultation et serait inadéquate pour un échange à valeur psychothérapeutique. Ainsi, a-t-on évoqué par exemple une moindre implication affective du médecin et du patient dans le cadre de la téléconsultation.

Cependant, dans l’ensemble nous ne partageons pas les remarques qui précèdent. Elles reflètent des appréciations subjectives et sujettes à caution. Surtout si on utilise la téléconsultation de façon nuancée…

« Distanciel  » et  » présentiel  » ne s’excluent pas, bien au contraire

En effet, les praticiens et les patients qui utilisaient la téléconsultation pouvaient percevoir, dès la période du confinement, la complexité de ses apports. La qualité de l’échange qu’elle permet était évidemment à l’œuvre dans la prévention des effets traumatiques de la situation. Mais plus largement, nous soulignions qu’elle permettait de maintenir et de faire évoluer les traitements entrepris au cabinet du praticien. Qu’il s’agisse de prescription de médicaments ou de psychothérapie. Elle permettait une rencontre et un échange de qualité, d’un point de vue humain comme d’un point de vue cognitif et technique.

Et bien entendu, elle n’ôtait pas son aura à la rencontre conventionnelle au cabinet. Celle-ci, au contraire constituait toujours la référence. Ainsi, dès l’assouplissement du confinement,

  • Quelques patients seulement ont maintenu un suivi distanciel prévalent
  • Mais surtout, la téléconsultation est apparue à nos patients et à nous-même comme une possibilité. Qu’on l’utilise ou qu’on ne l’utilise pas, elle fait désormais entièrement partie de notre cadre d’exercice quotidien. Ainsi, un recours souple et réversible aux deux modalités de rencontre est une possibilité ouverte. Une possibilité le plus souvent très facile à organiser en cas de besoin.

Et non seulement nous ne constations pas un appauvrissement de notre clinique, mais au contraire un enrichissement du fait de cette pratique mixte. Des analyses récentes montrent d’ailleurs qu’une pratique combinant présentiel et distanciel améliore la qualité des traitements.

Relevons maintenant quelques situations dans lesquelles cette utilisation combinée des deux modalités de rencontre se montre efficace.

L’accès aux soins, la continuité des soins, sont deux fonctions premières, centrales, de toute téléconsultation

  • L’accès aux soins était le premier bénéfice qu’on attendait de la téléconsultation
    • Aux yeux des pouvoirs publics, bien avant 2020, elle paraissait une réponse possible au problème des déserts médicaux
  • Le confinement de 2020 a montré la puissance des téléconsultations pour assurer la continuité des soins  

Mais ces deux fonctions (accès, continuité) sont également à l’œuvre dans de nombreuses situations apparemment plus banales

Ainsi, avons-nous listé quelques situations parmi celles, nombreuses, où un(e) patient(e) demande, ou accepte un passage, ponctuel ou plus durable, entre « présentiel » et « visio ».

Quelques exemples relevés dans notre pratique quotidienne actuelle (fin 2021)

  • Impossibilité médicale de déplacement : crise parkinsonienne, intervention chirurgicale, hospitalisation psychiatrique
  • Mise à l’isolement : suspicion de contact Covid :  » je préfère ne pas venir à votre cabinet « 
  • Volonté d’une jeune mère de rester près de son bébé nouveau-né
  • Travail imprévu de dernière minute :  » je ne serai jamais à l’heure à votre cabinet, est-ce que nous pouvons… « 
  • La distance entre le domicile et le cabinet peut faire choisir  » la visio « , surtout si le patient sort très tard de son travail ( réunion, bouclage de dernière minute, fréquence chez les cadres supérieurs), ou qu’il est en retard à son rendez-vous
  • Changement de région, ponctuel ou durable :
    • Demande de suivi pendant des vacances
    • Demande de suivi pendant un arrêt de travail passé en famille
    • Mobilité professionnelle ou familiale
    • Prise de retraite : un patient longuement suivi demande à continuer une relation espacée par téléconsultation, en revenant de temps en temps à Paris
    • Cas particuliers d’une période critique d’une phobie sociale, d’une période de repli dépressif majeur
    • S’ajoutent, parfois nettement, un choix plus ou moins significatif de notre patient de téléconsulter plutôt que de se rendre au cabinet

Dans toutes ces situations combinant les deux modalités de rencontre, il faut noter

  • La volonté affirmée de maintenir ses rendez-vous et la recherche d’un moyen d’y parvenir
  • Malgré un obstacle matériel ou une contrainte qu’apporte la vie privée ou sociale… Quelquefois également malgré un « acte manqué » de notre patient(e)
  • La flexibilité attendue du praticien : un(e) patient(e) peut demander une transformation de dernière minute d’une consultation présentielle en une consultation « en visio », ou quelquefois l’inverse
  • Le respect et la gratitude exprimée :  » je vous remercie d’avoir accepté ce changement… »,  » merci beaucoup « 

D’autres apports de la téléconsultation sont peu relevés par les professionnels. Détaillons-en quelques-uns. Car le changement du cadre de l’échange professionnel / patient nous réserve des surprises. En effet, nos patients s’approprient ce cadre, et il peut en résulter une certaine incompréhension.

1- La téléconsultation modifie le cadre matériel des soins

Nous expliquons clairement à notre patient(e) que la téléconsultation exige des conditions de discrétion et d’intimité suffisantes. En effet, nous devons veiller au respect du secret médical et d’une éthique de bientraitance.

Notre patient(e) nous parle fréquemment assis à un bureau, une table de travail ; ou d’un fauteuil, ordinateur ou téléphone portable sur les genoux ou sur une table basse. Qu’il se trouve chez soi ou sur son lieu de travail. Ainsi, notre patient reproduit, pour l’heure de son rendez-vous, des conditions assez proches de celles qu’il a connues au cabinet. Ou un peu plus relâchées, se rapprochant davantage des conditions de la conversation ordinaire. Il y a une certaine désacralisation du cadre de la rencontre. Mais devons nous le regretter?

A un degré de plus, on est surpris dans de nombreux cas par la variété et l’originalité inattendue des lieux à partir desquels nos patient(e)s se connectent  » en visio « . Il faut le souligner, car c’est un élément déconcertant. Par exemple, notre patient(e) peut nous parler assis dans sa voiture à l’arrêt, en rentrant de son travail ; ou d’un banc public lors d’une promenade, du jardin de sa maison, de la pelouse de sa résidence

Tout cela a pu être interprété comme une incompréhension du patient de ce qu’est le cadre et le but d’un rendez-vous en psychiatrie. Ou comme un manque de respect de celle-ci.

Pourtant, dans tout ce qui précède, l’élément inattendu est – simplement si l’on peut dire – que notre patient semble nous faire participer à certains détails de sa vie quotidienne. Que souvent il introduit une dimension ludique, une certaine complicité, une proximité voire une intimité à laquelle nous ne nous attendions pas. Que penser de cela ?

2- La téléconsultation modifie le cadre matériel, mais elle soutient le cadre psychique de la rencontre soignante

En effet, nous ne devrions pas surévaluer la supposé pureté de notre cadre conventionnel (habituel) quand il semble se heurter à cette banalité ou au contraire cette originalité inattendue de certaines situations crées par notre patient. Nous devrions au contraire garder une curiosité bienveillante. Nous nous demandons alors : qu’est-ce que notre patient (e) nous montre de lui-même et de ce qui l’entoure. In fine, ajoutons que nous ne devrions pas confondre le cadre psychique de la rencontre, le travail psychique que cette rencontre permet, et le cadre matériel de celle-ci.

Ainsi, nous remarquons, paradoxalement, que l’espace-temps du rendez-vous est préservé dans tous ces cas. Il l’est malgré l’apparente confusion entre l’espace conventionnel de la consultation et celui de la vie sociale ou privée. Un échange se maintient. Peut-être même se renforce-t-il, car cet échange est souvent très vivant, comme nous l’avons remarqué

  • En dépit des imperfections matérielles de la téléconsultation
  • En dépit des circonstances parfois très compliquées voire des stress, des microtraumatismes de la vie quotidienne de notre patient(e)

Ce maintien d’un échange malgré les obstacles rend manifeste l’implication préservée, voire renforcée, du patient et du médecin. Soulignons ici que la possibilité de téléconsulter réduit à pratiquement zéro le nombre des rendez-vous manqués.

3- Avec la téléconsultation, notre patient (e) partage sa vie quotidienne. La téléconsultation n’est pas une violence faite à son intimité. Elle n’est pas une sorte de visite à domicile qui ne dirait pas son nom.

Certains professionnels expriment de telles craintes. Cependant, soulignons que notre patient(e) accepte la téléconsultation ou que, très souvent, c’est lui qui la propose. C’est encore lui qui en décide les conditions matérielles.. Que présente-t-il (elle) alors de soi-même ou de son environnement de son plein gré, en confiance ?

  • Sa vie trépidante ou chaotique, les contraintes de son travail…
  • La difficulté de trouver un moment, un lieu, même atypique, pour que la consultation échappe au stress ou à une certaine promiscuité familiale ou professionnelle ?
  • Les proches sur lesquels il s’appuie sans le dire, si fort qu’ils apparaissent lors de la téléconsultation ?
  • L’importance d’un animal familier qui participe à la téléconsultation ? (« un chat, ça ne vous quitte pas  » nous dit une patiente)
  • Un moment de répit et de plaisir au grand air sur fond de stress quotidien ?

4- Dans toutes ces situations, notre patient nous donne à voir, à partager plus ou moins inconsciemment, des aspects de sa vie quotidienne ou plus intime. Des aspects que le dialogue au cabinet n’aurait pas rendu de façon aussi saisissante.

In fine, et d’une façon plus large concernant ce risque d’intrusion que craignent certains collègues, rappelons ce qu’Hippocrate formulait il y a 2500 ans environ : « Admis(e) dans l’intimité des personnes, dit-il, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs ». Ainsi, le risque d’intrusion n’est pas l’apanage, bien entendu, de la téléconsultation. Il concerne n’importe quelle facette de la pratique médicale, qui confronte en permanence les praticiens à l’intimité des corps et des âmes. Nous n’osons le souligner, tant chacun d’entre nous peut en faire chaque jour l’expérience.

En définitive, dans notre expérience actuelle

  • La téléconsultation ne remplace jamais tout-à-fait les consultations au cabinet « en vrai », ce dont d’ailleurs ont pris acte les préconisations officielles. Mais elle peut les accompagner, les relayer, les soutenir en de nombreuses circonstances. Elle permet de « garder le contact », voire d’enrichir celui-ci
  • En pratique, nous nous approchons de l’idée que la qualité de la téléconsultation la rapproche le plus souvent d’un acte en présentiel. C’est l’une des raisons pour lesquelles le terme de pratique mixte nous semble approprié. Nous ajoutons que l’offre de téléconsultation enrichit notre pratique clinique la plus courante et le service rendu aux patient(e)s. Cette ouverture de la pratique introduit une réflexion et des changements concernant nos attitudes, nos conceptions, voire nos certitudes habituelles. Ce développement prolonge ce que j’ai amorcé dans une première partie de cette exploration 

 

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