Expériences numériques dans la revue Pratiques en Santé Mentale

expériences numériques Expériences numériques en santé mentale : le prochain numéro de la revue Pratique en Santé Mentale (PSM) est coordonné par la rédaction de Psyway.

Ce n’est pas sans hésiter que la rédaction de Psyway a répondu à la proposition de l’équipe de rédaction de Pratique en Santé Mentale : coordonner un numéro sur « le numérique en santé mentale ». Cela allait-il mobiliser des contributeurs ?

Pouvait-on dépasser les positions tranchées ? Les « pour » : la téléconsultation, déjà amplement discutée, a désormais droit de cité … et les « contre », les  incroyants : cela dégrade la relation thérapeutique… Nous ne souhaitions pas davantage commenter les travaux entrepris par de nombreuses équipes universitaires, en France et à l’étranger : la mise au point d’applications à visée de prévention, de diagnostic ou de suivi thérapeutique qui est en voie de développement, mais demeure une perspective d’avenir encore peu utilisable le plus souvent, et dont la pénétration dans la profession reste hypothétique.

Les expériences du numérique en santé mentale : diverses, originales, entreprenantes

Nous souhaitions plutôt revenir vers des expériences actuelles, de terrain, animées par des praticiens et praticiennes de tous métiers de la Santé Mentale : ceux qui avaient tenté quelque chose de leur côté, sans chercher à le faire savoir, peut-être intimidés par ce qui apparait encore comme une transgression dans nos milieux. Des rédacteurs ni pessimistes avérés ni geeks invétérés, ni théoriciens ni visionnaires, mais des collègues qui ont choisi de regarder en face ce numérique que nous pouvons de moins en moins éviter aujourd’hui. Nous avions l’écho de certaines actions soignantes nouvelles, notamment auprès de personnes âgées ; l’écho aussi des difficultés pratiques – également nouvelles – rencontrées par des professionnels face à leurs patients ; l’écho ainsi de l’intérêt et/ou des limites rencontrées par les usagers de la psychiatrie.

Pour aller plus loin, dans le vaste champ du numérique, devait-on approfondir les questions de la téléconsultation et du télésoin ? Documenter la fracture numérique ? Interroger l’usage de la réalité virtuelle, les recherches des patients sur Internet ? Revenir aux usages du numérique pendant la crise de la Covid ?… Notre surprise fut grande de constater très vite, après quelques sollicitations et quelques contacts, que les expériences du numérique ne manquent pas, diverses, originales, entreprenantes ou mitigées pour certaines.

Nous détaillerons le sommaire de la revue lors de sa parution. Évoquons dès aujourd’hui ses contributeurs et leurs travaux]

  • Laure Fernandez et ses collaborateurs, ainsi que Sophie Barré sont en première ligne pour parler en termes précis du choc du numérique dans les usagers d’un SAVS et ceux de la psychiatrie pour les assistantes sociales. Leur regard de ces professionnelles nous fait ressentir plus vivement encore la transformation de tous nos repères dans la moindre démarche de la vie quotidienne. Avec leurs usagers, la fracture numérique majorée, « sur-handicap » à la fois matériel et cognitif, risque de mettre à mal certains principes fondamentaux de l’accompagnement. Elles nous font ressentir l’urgence que des initiations individuelles ou collectives viennent rapidement réduire l’écart voire le sentiment d’impuissance qui peut concerner tant les professionnels que les usagers.
  • Dans cet esprit, c’est à un travail très réfléchi de sensibilisation et de formation, soutenu par le CCOMS et l’EPSM de Lille, que se sont attelées Mme Judith Griselhouvre, paire aidante, et ses collègues. Elles en relatent la complexité, et nous font profiter des remarques, passionnantes, des attentes, d’une représentante des familles de l’Unafam et d’une représentante des usagers d’un GEMM.
  • D’autres collègues ont eu l’intuition de la possibilité d’usages nouveaux pour des publics déjà très aguerris et « connectés », à l’inverse des précédents. Ainsi Lucie Epivent nous relate un fragment de psychothérapie d’un jeune patient adolescent bien en peine avec le langage. Sa pratique, encore très rare, d’utilisation de la vidéo en séance permettait une mise en scène et en mots d’une agressivité débordante et très préjudiciable.
  • A l’opposé d’une telle pratique individuelle en cabinet, Violette Aymé et ses collègues nous entrainent dans une expérience collective qui s’est installée dans un espace de co-working de la ville de Bordeaux. C’est « Le Nom-Lieu », une expérience unique à notre connaissance, qui concerne de grands adolescents ou adultes jeunes en rupture scolaire totale, parfois en refus de soins. Ces jeunes « branchés » sont accueillis pour prolonger ensemble dans cet espace dédié à l’informatique les travaux qu’ils ont initiés seuls, enfermés chez eux.
  • A l’opposé de ces publics déjà convaincus, le numérique semble intéresser particulièrement les personnes âgées. C’est ce que suggère le bel atelier de réalité virtuelle initié dans un EHPAD de Castres, que rapporte Laure Souffir
  • ainsi que l’expérience très développée par l’hôpital de jour de la fondation Les ailes déployées, à Paris, animée par le Dr Renald Asvazadourian et son équipe. Dans les deux cas, les bénéfices semblent bien au rendez-vous, émotionnels, cognitifs, ou en termes de relations de soins, d’intégration familiale et sociale, voire de continuité des soins.
  • C’est sur ce point que nous terminerons cette évocation, avec le bel article de Jean-Luc Gauci et de l’équipe de l’hôpital de jour de la MGEN à Paris. J.L. Gauci décrit, à l’annonce des confinements, l’installation en urgence de procédures numériques, la découverte inattendue de certains outils, et l’expérience acquise par cette équipe. Il conclut ainsi cette expérience relativement rare en psychiatrie publique : « Les instruments numériques et technologiques ont offert des ressources qu’il importe de ne plus négliger, et de ne plus réserver à ces seules circonstances extrêmes. »

Créativité et intelligence clinique

On ne peut mieux conclure, si ce n’est en soulignant la richesse et la diversité de toutes ces expériences, et en affirmant notre certitude qu’il en existe de nombreuses autres tout aussi inspirantes et susceptibles de nous encourager dans la période difficile que notre discipline traverse : l’usage du numérique semble bien loin d’étouffer l’engagement professionnel, ainsi que leur créativité et leur intelligence clinique. Plutôt l’enrichit-il.

Nous souhaitons attirer l’attention des décideurs sur la nécessité de soutenir ces initiatives volontiers négligées du fait même de leur modestie et de leur caractère artisanal, mais tellement indispensables à nos patients. Retenons de surcroit la nécessité du perfectionnement rapide des professionnels à ces nouveaux usages, ainsi que d’intégrer des aidants réellement disponibles pour accompagner les usagers, in fine les plus pénalisés, à un usage simple du numérique dans leur quotidien et dans leurs échanges avec les professionnels.

Avec l’aimable autorisation de la rédaction de Pratiques en Santé Mentale.

Serge Gauthier, Victor Souffir, Décembre 2022

[a] Psyway.fr, https://www.psyway.fr/qui-sommes-nous/

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