Angoisse, troubles psychotiques et schizophrénie: mieux les comprendre
Aujourd’hui, un meilleur partage des expériences entre patients, familles, proches et soignants ouvre des voies de progrès en santé mentale.
Les troubles psychotiques et la schizophrénie restent parmi les troubles les plus difficiles à comprendre. Mais aussi à expliquer aux proches et aidants et encore aux soignants en début de carrière.
Nous avons le plaisir de publier in extenso ce document intitulé « En savoir plus sur…angoisse et troubles psychotiques ». Il est le fruit d’un travail collectif du Dr Jean-Jacques Bonamour du Tartre et de l’équipe de l’Unité de Jour de psychiatrie n°6 des Yvelines à St Germain-en-Laye. Ce texte se proposait de s’adresser aux proches et aux aidants. Il fut largement diffusé dans leurs rencontres.
Que signifie le terme « psychotique » ?
On qualifie de psychotique un trouble amenant à une perte de l’adaptation à la réalité ou de son appréciation, dont la personne ne se rend pas ou peu compte. Dans le langage courant, on retrouve un peu cette notion quand on dit que « une véritable psychose s’est installée… », c’est à dire lorsqu’une peur aveugle et disproportionnée s’exprime dans le public.
C’est un sujet qui préoccupe particulièrement les équipes soignantes,
- parce qu’il n’est pas toujours simple d’établir une relation avec une personne souffrant de troubles psychotiques. Alors même qu’il peut être nécessaire de la protéger contre elle-même à certains moments. Et parfois de lui imposer des soins. Car elle peut se mettre en danger du fait de sa perception inadéquate des choses.
- parce que des soins médicaux et un suivi durable sont essentiels pour que toutes les chances d’évolution favorable restent disponibles.
- parce que si ces troubles n’ont souvent que des conséquences limitées, ils peuvent aussi se compliquer dans certains cas. Voire amener à des problèmes graves ou durables.
On pourrait dire qu’un trouble psychotique est le reflet d’une tendance à trop ou mal interpréter ce qu’on ressent ou ce qu’on perçoit sous l’effet d’une angoisse particulièrement perturbante. Ce qui amène la personne à s’inventer un monde irréel où elle tend à s’enfermer. Ce qui représente un risque évolutif à ne pas négliger.
Comment les troubles psychotiques influencent la pensée ?
Ils sont en quelque sorte les indices d’une angoisse psychotique qui a déjà produit des effets sur le fonctionnement psychique.
Les plus courants sont l’apparition et le développement d’idées ou perceptions particulières. La personne les vit sans distance, malgré les contradictions de la réalité ou les démentis de l’entourage. Il peut s’agir par exemple :
- de sentiments persécutifs : impression d’être surveillé ou menacé, qu’on se moque de vous, qu’on vous veut du mal. Jusqu’à des idées ou des croyances en un complot, ou à un délire de persécution, etc.
- de sentiments mégalomaniaques : on a la soudaine révélation d’un destin hors normes. On se croit investi d’un rôle ou d’une mission grandiose…
- d’idées bizarres sur ses proches, sur son origine ou sa généalogie, sur les mots et leur sens…
Ils peuvent s’accompagner d’hallucinations surtout auditives : impression de voix qui parlent dans la tête, donnent des ordres, font des commentaires ou profèrent des insultes…). Ou encore de perceptions surnaturelles (on vous parle personnellement par la télévision ou la radio, ou par des moyens inconnus…).
Comment les troubles psychotiques influencent le comportement ?
Parfois apparaissent des troubles du comportement, car le contrôle de soi et le jugement critique s’affaiblissent. Ce qui amène la personne à des actes non réfléchis, à une difficulté à gérer ses affaires, à des comportements agressifs ou inadaptés, voire des violences.
A l’inverse, dans ces troubles dominent le retrait du monde habituel, l’isolement, le détachement affectif, la difficulté à penser, l’abandon de toute activité. Ces troubles là, plus discrets, sont souvent peu apparents et de ce fait, les soins commencent avec du retard. Ils se développent souvent dans un contexte dépressif de dévalorisation de soi, de désintérêt pour tout. Dominent souvent laperte de toute initiative ou le refus obstiné de bouger, ou encore le rumination de pensées ou d’idées moroses.
Ces troubles peuvent surgir ou resurgir sous forme de crise. Ils s’accompagnent alors souvent d’une très forte insomnie, d’un certain degré d’exaltation et d’hyperactivité. Une tendance silencieuse à nier les besoins corporels s’exprime : on n’a plus ni faim, ni soif, on ne se repose plus…. Il est alors impératif que la personne consulte un psychiatre ou s’adresse aux urgences pour recevoir les soins nécessaires.
Quand surviennent les troubles psychotiques. Quels sont leurs effets au quotidien ?
Ces problèmes peuvent survenir à tout âge dans l’existence, mais plus souvent à l’entrée dans la vie adulte, entre 18 et 25 ans. Ils peuvent aussi se produire lorsque le psychisme se trouve fragilisé par des circonstances extérieures (surmenage, traumatismes, utilisation de drogues, etc.) Ou encore dans la suite d’événements psychologiques ou somatiques (deuil, maladie, grossesse, etc.).
D’une façon générale, se manifeste une tendance à donner aux choses trop de sens ou pas assez. Elle engendre de grandes difficultés à analyser les situations et à se les représenter. De ce fait les relations au monde et aux autres deviennent plus compliquées et plus inquiétantes. Ainsi, les personnes se montrent souvent méfiantes et perplexes sur ce qu’il faut penser et faire, et ont du mal à en sortir.
En situation de crise, l’angoisse et les troubles psychotiques absorbent largement la personne, qui se trouve alors souvent dans un état de lutte intérieure la rendant indisponible pour quoi que ce soit d’autre.
Après le moment de crise, l’énergie psychique des personnes se mobilise pour lutter contre l’angoisse persistante. Les personnes éprouvent une difficulté à se concentrer, à mener des tâches à leur terme ou à tenir des efforts dans la durée. La résolution des problèmes de la vie prend plus de temps qu’auparavant. Souvent, en parallèle, apparait une tendance à se replier sur soi et sur ses pensées. Egalement, à renoncer aux activités et relations sociales, ce que les psychiatres redoutent beaucoup, car ce n’est pas un comportement très favorable à une bonne évolution.
Mais, chose importante, il faut savoir que les troubles sont souvent variables dans le temps, ils peuvent quasiment disparaître par moments ou au contraire s’aggraver par d’autres.
On pourrait comparer le rythme de l’angoisse et des troubles psychotiques à l’évolution des volcans : certains restent très longtemps éteints mais peuvent se réveiller, d’autres crachent toujours un peu de lave ou émettent des fumées…
Quels sont les risques des troubles psychotiques ?
Comme on l’a évoqué plus haut, l’angoisse psychotique tend à désorganiser la personnalité. Elle amène souvent à des excès d’interprétation dans un sens ou dans un autre, à des sentiments d’hostilité pour les autres ou à des difficultés à considérer la réalité. Ainsi, la personne qui en souffre est par moments difficile à vivre et peut même se mettre en danger. Soit en niant ses propres besoins, soit en étant prisonnière d’idées irréalistes.
Il existe également deux risques sérieux qu’il faut connaître pour mieux les combattre :
- le risque suicidaire : les tentatives et les décès par suicide sont nettement plus nombreux parmi les personnes atteintes de ce genre de troubles. Parce qu’ils entrainent chez la personne une souffrance psychique très forte, voire inacceptable. Mais ces passages à l’acte sont souvent aussi des manières de rompre avec des situations psychiques inextricables.
- le risque d’évolution vers une maladie mentale durable et handicapante. Du fait de la désorganisation importante de la personnalité, d’un repli massif sur soi, ou d’une pensée trop dominée par le délire ou les hallucinations. Les troubles peuvent s’installer dans un processus pathologique évolutif caractérisé souvent nommé schizophrénie.
C’est aussi du fait de ces risques-là que la qualité de la relation entre le patient, son entourage et les soignants est déterminante afin qu’on puisse repérer les problèmes et mettre en jeu dès que possible tous les moyens de prévention et de soin susceptibles de limiter ces risques.
Peut-on guérir d’un trouble psychotique ?
Cependant, il ne faudrait pas considérer que de tels troubles engendrent toujours des effets aussi impressionnants ou des risques aussi graves. En effet, de nombreuses personnes traversent des troubles psychotiques, s’en remettent plutôt bien. Elles parviennent à mener ensuite une activité professionnelle, une vie familiale et sociale normales.
On connait de nombreux exemples de gens très créatifs et productifs (artistes, hommes politiques, scientifiques…) qui ont souffert dans leur vie de troubles psychotiques importants. Au point d’être hospitalisés par moments pour de longues périodes et de devoir suivre des traitements continus.
Comment se soignent les troubles psychotiques ?
Le premier acte de soin de l’angoisse et des troubles psychotiques est d’en faire le diagnostic. Ceci nécessite que la personne rencontre un médecin psychiatre ou un soignant en psychiatrie. Et ainsi, qu’il puisse lui confier ses difficultés par lui-même ou par l’intermédiaire de son entourage.
Après cette étape préliminaire, trois ordres de soins sont nécessaires :
- l’hospitalisation, ou à défaut, la mise à l’abri sous surveillance de la personne souffrante (arrêt de travail, accompagnement par une personne capable de la vigilance nécessaire)
- le traitement médicamenteux, faisant principalement appel aux médicaments neuroleptiques ou antipsychotiques, (voir document sur le sujet),
- les approches psychothérapiques. Elles concernent la personne elle-même dans le cadre de sa relation avec le psychiatre, le psychologue, ou un autre soignant. Mais aussi l’entourage familial quand il est concerné ou sollicité par le problème.
D’une façon générale, on peut dire que les soins sont assez efficaces dans 2/3 des cas environ. Les meilleurs résultats sont obtenus quand les soins sont donnés au plus tôt après l’apparition des troubles. Les traitements peuvent parvenir à des états de « guérison ». Mais ils n’amènent parfois qu’une réduction importante de l’angoisse rendant les troubles plus supportables.
Mais deux obstacles importants peuvent compliquer l’accès aux soins et leur efficacité
- la difficulté pour la personne de se rendre compte du caractère pathologique de ses troubles. Si certains demandent et acceptent une aide, d’autres y sont très opposés.
- Au point qu’il faut parfois l’imposer par une mesure d’hospitalisation contre la volonté de la personne :
– soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SPDT)
– soins psychiatriques en cas de péril, imminent (SPPI)
– soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État (SPDRE) - les traitements de ce genre de problèmes sont longs et complexes. Ils demandent au minimum une prise de médicaments prolongée sur un à deux ans, dans un suivi par un psychiatre. Et lorsque c’est possible accompagné d’une psychothérapie. Ces traitements assez contraignants restent émaillés de nombreuses ruptures de soins.
En conclusion, “être psychotique” ou “avoir des troubles psychotiques” ?
Les psychiatres et soignants en psychiatrie sont depuis toujours très concernés par le sujet des troubles psychotiques. De nombreuses conceptions et théories se sont succédé.
Ainsi, on a longtemps considéré que le trouble psychotique atteignait obligatoirement toute la personnalité : on « était psychotique », tout entier, irrémédiablement. Aujourd’hui cette façon de penser est remise en cause. En partie sous l’influence des progrès dans les traitements médicamenteux, familiaux et psychothérapiques. On a constaté que la façon de considérer « le malade », de parler avec lui de ses troubles avait une incidence considérable sur son évolution.
De plus en plus s’affirme l’idée qu’on peut « avoir des troubles psychotiques » sans que toute la personnalité soit perturbée. Mais aussi que le patient et son entourage peuvent être un élément moteur essentiel dans le traitement et l’évolution.
Ce changement de conception et l’intérêt d’explorer ce qu’on appelle aujourd’hui « la compétence des patients et des familles ». Ce qui incite les soignants à repenser leur propre fonction et leur façon de concevoir la coopération.
Le dialogue direct reste la meilleure manière de travailler dans ce sens.
Il appartient à chacune des parties d’amener les autres vers les conditions les plus adéquates pour qu’il se produise.
Auteur : Dr J.J. Bonamour du Tartre
Nous remercions le Dr Trémine, Rédacteur en chef de l’Info Psy qui nous autorise à le publier en raison de son intérêt pour le public et les proches. (Info Psy N° 4 – Avril 2023, Vol 99)
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Psychiatre–Psychanalyste – Ancien responsable d’un service de soins psychiatriques