Covid-19 : la fatigue et la téléconsultation

La fatigue de fin de journée après une série de téléconsultations n’est pas la même que celle que nous éprouvons à la suite de consultations en présence des patients.
Elle nous paraît plus grande car elle nous est inhabituelle. (Une contribution du Dr Marc Hayat – Paris)

Sur le plan physique

La tension corporelle, qui peut parfois se manifester par un mal de dos, une douleur à la nuque ou dans les jambes est moindre.
Personnellement, je n’éprouve plus le besoin de m’étirer, de me dégourdir les jambes plusieurs fois par jour comme c’était le cas « avant ».

Pendant une téléconsultation, il y a certes le fait que le corps est beaucoup plus mobile : on peut se lever, changer de place, voire s’allonger sur le divan.

Mais surtout, il n’y a pas cette tension propre aux longues journées de consultations en « présentiel ».
Dans cette situation, on contracte parfois son corps pour résister de façon instinctive aux propos parfois vifs des patients et aux bombardements des éléments béta, c’est à dire ce qui a été peu élaboré par le patient et qu’il nous faut comprendre et élaborer avec lui, en sa présence.

Sur le plan psychique

C’est là que la fatigue est grande.

Elle est d’autant plus douloureuse qu’elle ne s’accompagne pas de souffrance corporelle, elle reste comme en suspens : elle est mère de lassitude.
A quoi est dû cet épuisement ? A un effort particulier de concentration.

Que ce soit pour une séance de psychothérapie analytique ou pour un entretien sur un mode plus psychiatrique, notre écoute est toujours « double ».

Elle se déploie sur deux plans :

  • le discours patent qui décrit l’actuel,
  • le discours latent fondé sur les enjeux inconscients.

Dans tous les cas, notre art consiste à être sur cette crête.

La position du psychiatre est d’être au plus près du discours patent, dans le champ du conscient et sa réponse sera dans l’action : il est médecin, il doit se concentrer pour faire un diagnostic et prescrire un traitement.

Cependant, pour celui qui a une formation analytique, il garde en mémoire ce qu’il a pu entendre du discours inconscient. Ainsi sa prescription, dans la façon qu’il a de l’énoncer, pourra éviter de rencontrer de façon frontale les défenses inconscientes du patient.

Le psychanalyste lui, écoute avec cette attention flottante permettant de mieux entendre le contenu latent du discours du patient. Il associe ce qu’il sait de l’histoire du patient et de ses enjeux inconscients de façon, si la situation est favorable, à interpréter ce qu’il en comprend.

Une dynamique d’écoute complexe

Il arrive parfois que l’analyste éprouve le besoin d’opérer un léger repli narcissique. Son attention flottante l’entraine alors vers des associations qui concernent plus ses préoccupations actuelles personnelles. Au téléphone, il est bien tentant de regarder son courrier ou ses mails. Il nous faut y résister.
Dans ces cas-là, il est habituel de se recentrer momentanément sur le discours factuel du patient, de lui demander par exemple des précisions sur tel ou tel aspect d’un événement actuel ou passé, dans l’attente de retrouver un indice de « distraction  » suffisant pour avoir une écoute convenablement diffractée.

Dans le cadre d’entretien psychothérapique, on pourrait croire que la situation de la télécommunication serait proche du dispositif divan/fauteuil : on n’entend que la voix du patient, et si la transmission est de bonne qualité, on peut percevoir les nuances de la prosodie.
Nous sommes en outre « protégés » des sollicitations sensorielles. Voilà réunies les conditions d’une « bonne » séance.

En fait il n’en est rien.

En effet, nos sens sont à l’affut : ce silence était-il le signe que la communication est interrompue ? Le patient est-il distrait par une autre sollicitation ? On l’entend changer de place, boire ou manger.
Il est convenu qu’il doit être dans un endroit où il est sûr de ne pas être dérangé. Mais en ces moments de confinement familial, il peut être dans sa voiture ou en train d’en profiter pour aller faire un tour et marcher.

C’est là que l’on s’aperçoit combien il faut que le corps du patient soit immobile pour que les mouvements de régression vers l’espace de l’Inconscient puissent se faire.
En parallèle, le discours de l’analyste doit être porté par son corps percevant sensoriellement l’environnement partagé avec le patient, un corps immobile tourné lui aussi vers l’espace de l’Inconscient. C’est dans ces conditions que le holding contenant la séance peut être de bonne qualité.

Les séances habituelles ou au téléphone

Dans les séances en présence du patient, il existe une ambiance sensorielle qui « enveloppe » les protagonistes et qui constitue une sorte de cadre externe partagé.
Au cours des séances par téléphone, il faut que le cadre interne de l’analyste, son assise de l’écoute clinique en référence à la théorie, soit stable et solidement installé.

Dans ces conditions, il arrive parfois que certains patients s’appuient sur ce dispositif très particulier de la téléconsultation pour dire des choses qu’ils auraient eu des difficultés à faire connaître en présentiel.
La petite expérience antérieure au confinement que j’ai de suivi psychothérapique avec des séances par téléphone pour des patients dans l’incapacité de se déplacer (voyage, maladie …), alternées avec des séances en présentiel, est intéressante dans la mesure où ce matériel enfin divulgué par téléphone peut être repris et analysé dans cette succession de séances.

Cette respiration, ces deux types de séances scande alors le processus thérapeutique.
Il est possible qu’après cette période de confinement ce genre de pratique alternée perdure.

Les séances en vidéo consultation

Les choses semblent encore plus complexes.

Rester sur cette crête demande un plus grand effort de concentration. En effet, cette proximité « yeux dans les yeux » avec le patient, avec son propre visage dans un carré de l’écran, avec l’intrusivité réciproque que représente le regard sur l’arrière-plan, prive de l’intimité que procure paradoxalement l’échange téléphonique, dans lequel l’ouïe est le seul sens engagé.

A l’instar de la plupart de mes patients je ne m’y suis pas senti à l’aise, et nous avons préféré d’un commun accord l’échange par téléphone.

Le cadre des séances se construit à deux, avec le patient. Nous trouvons un équilibre fonction de nos gouts, de nos façons d’être, de nos habitudes, de nos convenances jusqu’à trouver un niveau d’échange qui convient aux deux protagonistes de ce travail psychothérapique. Cet accordage doit se retrouver en cas de changement de cadre et il est probable que cela intervient dans les choix qui organisent le nouveau cadre.

En conclusion

La consultation psychiatrique en période « normale » pose des problèmes particuliers :

  • le contact corporel s’avère nécessaire pour évaluer au premier coup d’œil si le patient soigne son apparence, s’il est propre ou négligé, si son visage est mobile ou figé, si sa poignée de main est franche.
  • les signes cliniques que doit saisir le psychiatre sont plus nombreux, plus fins, plus difficile à appréhender.

La vidéoconsultation n’est possible que si l’on connaît déjà le patient, pour évaluer un changement nécessitant éventuellement une action plus directe comme un changement de traitement ou une visite à domicile par exemple.

Selon moi, lorsqu’il s’agit d’un nouveau patient, la téléconsultation, même en vidéo doit rester exceptionnelle pour répondre à une urgence.

L’entretien psychothérapique par téléphone ou par vidéo ouvre des horizons tout à fait intéressants pour le futur.

La fatigue que nous éprouvons est particulière.
En cette période de Covid-19, le confinement empêche les mouvements d’investissement et de désinvestissement habituelles qui nous font passer de la vie professionnelle à la vie familiale, amicale, sociale et/ou culturelle et vice versa.

Cette absence de respiration vient rencontrer l’effort de concentration continue que demande l’exercice de la téléconsultation. Elle colore notre fatigue psychique d’un sentiment de grande lassitude.

 

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