Juliette Andréa Thierrée – témoignage schizophrénie – Théâtre de l’Opprimé
Au théâtre : « Passionnément à la folie »
Du 27 novembre au 8 décembre 2024
Théâtre de l’Opprimé
78/80 rue du Charolais, 75012 Paris
De Juliette Andréa Thierrée
Charlotte est mère de deux enfants.
Sa fille, Fauve, est partie est partie de la maison pour échapper à un climat familial pesant. Elle vit en Australie, est mariée et a un enfant.
Le cadet, Adrien, habite encore chez sa mère. C’est un garçon gentil, aimant, doux, mais l’adolescence arrive comme un boulet de canon entre cannabis, crises de violence et menaces. Charlotte essaye de gérer comme elle le peut la situation au jour le jour.
Un matin, alors qu’il vient d’avoir dix-huit ans, Adrien tient des propos étranges et inquiétants. Elle se voit obligée de le conduite aux urgences psychiatriques. Commence alors pour Charlotte un parcours de la combattante.
On suit sur quinze années, et du point de vue de Charlotte, la façon dont la maladie psychique surgit dans leur vie et implique changements et aménagements dans leur quotidien. C’est aussi un autre monde qui s’ouvre à elle, celui de la psychiatrie et de ces codes.
« Parce que nous serons tous tôt ou tard des « aidants » ou des « aidés », cette pièce est au coeur d’un débat politique indispensable. Elle pose la question en filigrane de la place des aidants dans nos sociétés, de leur reconnaissance et de leur visibilité. » JAT
Compagnie Annaël – Juliette Andréa Thierrée
texte et mise en scène Juliette Andréa Thierrée • avec Juliette Meyniac, Thomas Milatos, Myriam De Romblay • musique Raphael Bancou • lumière Quentin Pallier • Création vidéo Eric Morel
contact.cie.anael@gmail.com
BP 173 – MDA – 8 rue Général Renault – 75011 Paris
L’INTERVIEW EXCLUSIVE DE JULIETTE ANDRÉA THIERRÉE
Bonjour Juliette Andréa Thierrée, pourquoi avoir choisi le thème de l’aidance, au cœur de votre pièce ?
Au départ, c’est une commande de l’association l’Envol Dunkerquois. En 2022 ils m’ont demandé d’écrire une pièce de théâtre sur le sujet des aidants. J’ai récolté de nombreuses paroles d’aidants.
Que signifie pour vous le terme « aidant » ?
Être aidant, ça veut dire donner de son temps pour soutenir, aider la personne qui souffre. Mon fils avait dix-huit ans quand la maladie s’est déclarée. Pendant les cinq années qui ont précédé il était en devenir adolescent, dans une forme d’errance et de souffrance. Grâce au traitement et aux suivis thérapeutiques, à 32 ans mon fils va bien. Il est même mieux qu’il n’a jamais été.
Je dirais qu’on devient aidant sans le savoir à partir du moment où quelqu’un est en difficulté, en détresse. La bascule se fait à partir du moment où il y a hospitalisation. Quand la personne malade sort de l’hôpital, être aidant prend tout son sens. Il faut être très vigilant. La sortie de l’hôpital est un moment où la personne est très fragile, elle nécessite des soins, de la vigilance au quotidien, de l’amour bien sûr. Être aidant c’est avant tout donner de l’amour. Ce mot de « aidant » je ne l’ai connu que bien plus tard après que la maladie de mon fils se soit déclarée. Il y a quinze ans ce mot-là n’était quasiment pas employé.
Avez-vous cru, comme beaucoup de parents, à des troubles de l’adolescence ?
Oui oui oui. La pièce le montre, je l’ai d’autant plus cru que les psychologues le croyaient aussi. Je suis sidérée du manque d’informations que nous, les parents, avons au sujet des maladies psychiques.
Quels sont les craintes, les difficultés auxquelles les aidants sont confrontés au quotidien ?
La peur du suicide en premier lieu, la peur aussi de la violence. Quand la violence de l’être que l’on aime s’exprime on a peur pour soi pour les autres membres de la famille. Les difficultés surviennent aussi au sujet de la prise du traitement. Souvent c’est un gros sujet entre l’aidant et la personne malade qui peut susciter des conflits à répétition. L’aidant doit savoir se positionner presque comme un soignant par moment. Or ce n’est pas son rôle, mais par défaut il est obligé de s’y coller.
Quelles conséquences la maladie de votre fils ont eues sur votre vie ?
Des conséquences énormes évidemment. C’est un des sujets de ma pièce de théâtre. Charlotte jongle en permanence avec son boulot, son fils, sa fille, sa vie sociale et en même temps la maladie psychique de son fils prend toute la place, enfin beaucoup de place selon les périodes de stabilisation ou de crise.
Un aidant parent seul a toute la responsabilité sur ses épaules. Il est évidemment plus facile si toute la famille est concernée et alterne à tour de rôle dans ce rôle d’aidant. Mais je constate que rares sont les familles qui se mobilisent. En général c’est la mère ou le père qui devient l’aidant référent. Le reste de la famille se tient souvent à l’écart, voire rejettent la personne malade et l’aidant qui deviennent persona non grata.
Est-ce qu’être aidant c’est forcément au détriment de sa propre vie ?
Un peu quand même oui ! Il m’est arrivé une fois en quinze ans de vouloir me mettre au centre : j’étais tombée amoureuse et je voulais vivre cette histoire. Mon fils a rechuté gravement à cette période. Sûrement une relation de cause à effet. Comme je le dis plus haut tout dépend du fait de pouvoir compter sur d’autres membres de la famille ce qui n’a jamais été vraiment mon cas. J’ai été aidante à plein temps même si j’ai pu compter sur le soutien de ma fille souvent quand j’étais à bout
J’ai perdu beaucoup d’amis. Je m’en suis fait de nouveaux. Je fonctionne par phases. Parfois je le dis à tout le monde et parfois à personne. Je n’ai jamais été proche de ma famille et ne le suit pas davantage aujourd’hui. Ça n’a rien changé
Avez-vous ressenti un sentiment de culpabilité, en tant que parent ?
Oui il y a un sentiment de culpabilité réel. Je l’ai constaté chez à peu près tous les aidants que j’ai interrogés. On passe au crible tout ce qu’on a fait, pas fait, mal fait. Puis pour ma part j’ai lâché prise. Ça ne sert à rien à de se culpabiliser. Il faut regarder de l’avant. Mais il se peut que ma culpabilité ait fait de moi une meilleure aidante dans le sens où j’ai énormément investi ce rôle, comme une sorte de réparation.
Il existe un réel tabou autour de la schizophrénie. Je le ressens toujours et tout le temps. J’ai moi-même mis six ans avant d’en parler à mon père. J’étais l’incarnation même de ce tabou ! Le fait d’avoir deux enfants a été très difficile. Mon fils étant stabilisé aujourd’hui je peux enfin offrir à ma fille plus de temps. Je l’emmène à NY en janvier. Ça aurait été impensable il y a quelques années.
Vous êtes-vous toujours sentie en « capacité » d’être aidante de votre fils ?
Non. Il faut être solide pour ça. Aller bien un minimum pour pouvoir être aidant. Il m’est arrivé de m’effondrer et j’ai dû prendre un traitement anti dépresseur pour continuer à tenir mon rôle d´aidante. Et parfois aussi il m’est arrivé d’en avoir marre et de ne plus m’investir autant. Je reste un être humain avec des limites !
J’ai eu un sentiment d’injustice face à la stigmatisation de la maladie, les errances dans le diagnostic, mais plus maintenant.
Je connais une personne qui a envoyé son fils malade à Nice et qui vit à Rouen. Son fils est suivi par un GEM. Pour ma part ça m’a toujours semblé être une évidence. Je ne me sens pas obligée. Pour ma part il s’agit avant tout d’amour. J’aime mon fils, l’aider est une chose naturelle pour moi.
Malheureusement on ne se sent pas toujours utile. Quand mon fils en 2021 a décidé de ne plus prendre de traitement, je me sentais inutile et surtout impuissante. Mais la pièce montre qu’il peut y avoir de la reconnaissance de la part de la personne aidée. Tout dépend de la forme deschizophrénie. Certains vont trop mal pour ressentir gratitude et reconnaissance. Aujourd’hui je suis épaulée par mon compagnon et sa famille et c’est très précieux. Ça a totalement changé ma vie pour le meilleur .
Avez-vous peur que la maladie affecte la génération suivante ?
Oui c’est une peur évidemment. Personnellement moi, mon fils et son père nous participons à une expérience avec un psychiatre chercheur de Sainte-Anne, Boris Chaumette. Ce chercheur est en train de réaliser un travail sur l’hérédité. Il a trouvé le gène responsable de la schizophrénie de mon fils. Gêne que je n’ai pas. Nous attendons le résultat du père de mon fils.
Les aidants ont-ils besoin d’aide ?
Oui on a besoin d’aide ! On a besoin d’avoir du soutien des personnes qui sont là qui vous comprennent mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai perdu beaucoup d’amis. Je pense que les gens qui ne connaissent pas ces maladies pensent encore aujourd’hui que les parents sont responsables.
J’ai ressenti cela fortement quand la maladie de mon fils s’est déclarée. J’ai même eu un oncle qui m’a dit que j’avais rendu mon fils fou, et une amie aussi.
Vous êtes-vous sentie soutenue par les équipes soignantes en psychiatrie ?
Oui, par mon psy à moi ! Mais ça n’a pas toujours été le cas. La communication peut être bonne avec certains. Nulle avec d’autres.
Je vois beaucoup d’amis aidants être en colère contre l’institution et les psychiatres en milieu rural surtout. J’ai eu la chance concernant mon fils, et mon fils aussi, d’avoir un très bon psychiatre dans le libéral. Mais je suis consciente que la majeure partie des aidants n’est pas en mesure de payer des consultations onéreuses.
Existe-t-il des associations d’entraide ?
Oui j’ai adhéré à des associations comme l’UNAFAM. J’ai suivi 2 fois le programme de Profamille. J’ai rencontré des aidants comme moi. On sait que l’on se comprend entre nous. Et on peut même rire entre nous de situations qui sont terribles (on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui !) Dans les formations Profamille que j’ai suivies, on m’a expliqué la maladie, on m’a rassurée et conseillée dans la relation avec mon fils. Je me demande comment font les autres ?
Comment voyez-vous l’avenir avec votre fils ?
Je n’ai pas de boule de cristal mais je le vois beau. Un appartement thérapeutique, une amoureuse… des amis… Pour le travail c’est compliqué avec la maladie, la fatigue liée traitement. Mon fils est artiste. Il a obtenu une licence d’art plastique. Aujourd’hui il réalise des dessins, il est portraitiste professionnel depuis un mois ! La AAH lui procure un petit revenu complémentaire, et surtout il se sent inséré dans la société.
Dans un monde idéal, que faudrait-il de plus, de mieux, pour aider les malades et leurs proches ?
Ah mais tout est à construire à créer à ce niveau-là !
Le Palais des Aidants ???
En attendant, venez voir la pièce au théâtre de l’Opprimé à Paris, du 27 novembre au 8 décembre, et vous aurez tout un panel de mon expérience personnelle !