Le numérique en santé mentale : s’en servir dès maintenant
Dans les soins psychiatriques et dans le domaine de la santé mentale, la technologie n’a pas une place de droit. Contrairement aux autres spécialités médicales très enrichies par les examens complémentaires. Et pourtant, dès maintenant le numérique permet plusieurs usages majeurs dans les soins psychiatriques.
La question de savoir à quoi sert le numérique en santé mentale reste délicate dans les milieux professionnels, psychiatres et infirmiers en psychiatrie parce qu’elle soulève un conflit. La communication avec les patients, lorsqu’elle utilise une voie technologique déshumanise-t-elle la relation soignante ? Ce problème a été l’objet d’une intervention lors du 1er webinaire de psyway.fr Voir la vidéo
Une question est centrale : est-ce que le numérique en santé mentale ouvre dès maintenant, des champs nouveaux à la thérapeutique ?
De notre côté, en créant notre site psyway.fr en 2017, nous avons commencé à nous engager dans cette recherche, de façon très pragmatique, sans passion particulière pour le numérique mais sans réprobation de principe : il s’agissait de mieux comprendre ce que le web met à disposition des patients, des aidants et des proches et d’apporter éventuellement, par nos propres articles, notre contribution à cette information.
L’usage d’Internet se généralise avant ou après une consultation
Les patients n’attendent pas pour chercher sur le Net ce qu’ils n’ont pas pu, voulu ou osé demander à leur médecin, généraliste ou psychiatre. Est-ce que cette nouvelle source d’informations change quelque chose dans le rapport médecin / malade?
Un usage du numérique en santé mentale : reconnaitre son trouble
Ce rôle est surtout dévolu aux nombreuses applis que des équipes innovantes mettent à disposition.
Ces applis peuvent servir aux patients à repérer, évaluer, mieux appréhender son trouble et donc à en avoir moins peur (Psyway.fr en présente une trentaine).
- dans un langage courant, elles donnent des descriptions délicates et mesurées des troubles qui facilitent la prise de conscience
- elles soulagent car on comprend qu’on partage son trouble avec d’autres
- elles permettent à la personne de suivre l’intensité du trouble jour après jour
- certaines contribuent à préparer une consultation (Mon suivi psy)
- les applis des avantages : la discrétion, l’anonymat et la gratuité
- elles permettent de surmonter l’obstacle de la honte. Parler « les yeux dans les yeux » à une autre personne d’une souffrance intime, n’est pas toujours facile.
Or nous savons qu’il y a en psychiatrie un véritable continent noir : une énorme quantité de troubles passe sous les radars. Trouver un psychiatre est devenu difficile. En conséquence, ces troubles ne sont ni diagnostiqués ni traités avec pour conséquence leur aggravation inéluctable. Parfois jusqu’au suicide.
Les applis facilitent de prendre conscience de sa souffrance psychique
Elles portent souvent sur :
- les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression, le stress, les troubles des conduites alimentaires
- mais aussi sur les addictions (alcool, cannabis..) quelles permettent de reconnaître et de quantifier
- plusieurs sont en préparation pour le suivi des personnes souffrant de troubles schizophréniques avec des modules de remédiation cognitive.
- des applis proposent des contenus clairs, compréhensibles sur les troubles. Elles incluent souvent des petits modules de relaxation, de méditation, d’aide à l’endormissement. Un excellent exemple est l’appli Stop Blues avec sa bonne introduction en vidéo par le Pr Chevreul.
Certaines applis sont reliées à une montre connectée. Il est souvent très utile que la personne se fasse une représentation non subjective de son sommeil. La formule « je ne dors pas du tout.. », le vécu d’insomnie complète peut être confronté aux tracés d’une montre connectée. Certes ces tracés sont simples mais cependant sur certains points plutôt fiables.
La continuité des soins est permise par la téléconsultation
Bien avant la crise du Covid, nous pressentions que le numérique allait approcher voire pénétrer notre spécialité. De fait, la pandémie a ouvert une brèche dans le scepticisme général : l’usage de la téléconsultation a fait un bond incroyable : le nombre d’actes attendus pour 2019 était de 140 000, et en 2020 il a atteint 18 millions. (Rapport de la Cour des Comptes – 2020). Ainsi, fin janvier 2021 , déjà 1 million de téléconsultations avaient eu lieu. De plus, la fin du confinement n’a pas diminue ce recours.
La Cour des Comptes, tout en mettant en garde contre certaines dérives, considère que la téléconsultation dispose « d’atouts potentiels considérables encore insuffisamment exploités ».
Saluons les pouvoirs publics qui étaient à l’heure puisque dès septembre 2018, la téléconsultation, était lancée avec son remboursement par la sécurité sociale.
La télé-expertise doit améliorer la continuité médecine de ville / médecine hospitalière
Si la téléconsultation a été plébiscitée, il n’en a pas été de même de la télé expertise qui fait partie de l’enveloppe de la télésanté. Or, la liaison Psychiatres – MG est terriblement lacunaire et difficile dans de nombreux endroits. La télé expertise permet un rendez-vous de concertation entre un médecin généraliste et un psychiatre. Son usage pourrait permettre un contact commode, aisé, sans perte de temps entre un médecin embarrassé qui veut un renseignement ou qui cherche une orientation et un psychiatre ou une infirmière d’un service de psychiatrie. Le médecin généraliste ne cherchera plus désespérément un interlocuteur. Et cela pourra permettre une prise en charge des troubles. Voire favoriser l’entrée dans les soins par une intervention précoce pour laquelle la France est tellement en retard.
Le télésoin : pour une sortie d’hospitalisation sécurisée.
Nous savons que le risque majeur de rechute, se joue dans les jours et les semaines qui suivent la sortie d’une hospitalisation. L’arrêt du traitement, l’absence de rendez-vous proches et de contacts avec les aidants duaugmente le risque d’échappement aux soins. En conséquence de rechute. Si la téléconsultation est coordonnée avec le télésoin, pratiqué par des infirmières et infirmiers était beaucoup plus utilisé, et de façon systématique, à la sortie d’hôpital, pour un patient qui l’accepterait, voire le souhaiterait, nous faisons l’hypothèse que nombre de rechutes pourraient être évitées. L’équipe Psyway a conçu un projet avec l’association ARI2P qui est actuellement à l’étude auprès de deux ARS.
Un avantage : la loi prévoit que pour la téléconsultation et le télésoin, un proche du patient peut être présent.
Un dispositif disponible pour le numérique en santé mentale mais des réticences
Voilà les avantages principaux que nous pressentons dans l’utilisation du numérique : comme vous voyez, nous avons donné la priorité à la télésanté. Mais ces perspectives ne nous font pas oublier les difficultés qui sont :
- La sécurité des données, générale pour toute activité de quelque nature qui utilise le numérique
- La compétence numérique des patients
- L’adhésion et la formation des équipes soignantes car sans adhésion et sans formation, un projet de télésanté échoue et les matériels coûteux restent dans les placards
- L’équipement informatique inégal des services de soins psychiatriques
Mais le principal obstacle n’est-il pas l’attentisme, le scepticisme, la méfiance, les tabous à l’égard de toute interposition technologique dans la relation soignante ?
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Psychiatre–Psychanalyste – Ancien responsable d’un service de soins psychiatriques