Numérique et prévention du suicide : au delà du 3114 et après les crises ou évènements suicidaires

numérique et prévention du suicide, applis et objets connectésLe 3114 est le numéro d’appel d’urgence en cas de risque suicidaire. Il s’adresse aux personnes en souffrance, aux proches, aux professionnels. Il est accessible 24h:24, 7j/7.

En outre, en cas d’évènement suicidaire, des chercheurs expérimentent de nouveaux outils de prévention.

La prévention du suicide en cas d’évènement suicidaire mettra à contribution des applications et objets connectés (AOC), pour enrichir les outils de prévention déjà utilisés (consultations, suivi à distance, psychoéducation).Un évènement suicidaire est ainsi défini:  » le suicide, la tentative de suicide, l’hospitalisation et le passage aux urgences pour idées suicidaires ».

 

Pourquoi des applications et objets connectés (AOC) dans la prévention du suicide

La consultation classique évalue souvent mal le risque d’un passage à l’acte suicidaire.

Et plus précisément, il est difficile de prévoir le moment de vulnérabilité particulier où se déclenche ce geste. Par exemple, le mal-être ou la souffrance liée à des troubles dépressifs ou d’autres troubles mentaux peuvent lentement devenir intolérables et conduire  cet acte ; mais d’autres fois, c’est une situation qui va brusquement provoquer une impulsion suicidaire (isolement, crise d’angoisse, panique). Ainsi, la crise suicidaire dépend des symptômes (dépression, angoisse), mais aussi de diverses conditions. L’état psychologiques, émotionnel, physiologique, situationnel jouent un rôle (traumatisme, solitude, éloignement d’une personne ressource). Enfin, la personne concernée est le plus souvent loin des soins lorsque la crise suicidaire survient.

Aussi, des recherches utilisant les AOC tentent de lister et paramétrer les facteurs complexes dont la présence pourrait faire craindre un geste suicidaire dans les quelques minutes ou heures qui suivent, en conditions écologiques.

Le repérage d’une situation à risque permettrait des interventions préventives adaptées à chaque situation et « hyperrapides ». Ce repérage suppose bien entendu que l’on soit dans le cadre d’une relation thérapeutique bien établie et consentie .

Techniquement, le contact entre l’équipe thérapeutique et la personne à risque utiliserait le smartphone de celle-ci, comme dans tous les domaines de la e-santé. Le smartphone est en effet devenu un objet de la vie quotidienne pour près de 3 milliards de personnes dans le monde.

 

Les AOC permettent de mieux connaître l’état psychologique et émotionnel d’une personne dans les conditions (écologiques) de la vie quotidienne, à partir de 3 types de données.

  • Les questionnaires d’auto observation. Grâce à ceux-ci, une personne peut s’auto-évaluer, et partager ses observations avec ses soignants ou personnes ressources. Quelques questions permettent ainsi d’évaluer l’humeur, les cognitions, le régime alimentaire, l’ activité, les relations sociales, etc. Les personnes qui utilisent ces questionnaires peuvent les remplir à un rythme variable, quotidien, hebdomadaire, ou à la demande, en fonction du contexte
  • Les informations objectives fournies par des objets connectés (montres, bracelets…) peuvent également renseigner sur l’état physique et psychique. Citons par exemple les enregistrements du sommeil, du nombre de pas par jour, des rythmes cardiaque ou respiratoire, de la température, du poids, de la pression artérielle
  • Des métadonnées (« phénotype digital ») telles que le nombre et la durée d’appels reçus et émis, le temps de connexion aux applications, peuvent témoigner indirectement des équilibres psychiques

 

AOC et recherches de pointe sur la prévention du suicide

Pour mixer les nombreuses données issues de ces trois sources, des chercheurs utilisent  l’intelligence artificielle (iA). Leur but est de construire des algorithmes prédictifs de moments très proches de la crise suicidaire comme nous l’avons vu.

L’ambition est thérapeutique et préventive. Il s’agit d’intervenir en temps réel, pour soutenir et promouvoir des comportements qui désamorcent la crise : « le bon soutien au bon moment ».

En effet, le recueil de données plus précises permettrait aux professionnels comme aux patients d’intervenir sur telles ou telles dimensions impliquées dans la crise suicidaire.

 

De nombreuses applications mobiles évoquent le suicide

Plus de 120 d’entre elles ne sont pas spécifiques. En effet, elles traitent plutôt de la dépression, des automutilations, du soutien psychologique, etc.

Parmi celles qui sont dédiées à la prévention du suicide, qui sont largement utilisées par les patients, très peu (environ 7%) intègrent les recommandations officielles, à savoir

  • le suivi de l’humeur et des pensées suicidaires
  • l’élaboration de plans de sécurité
  • la préconisation d’activités
  • l’information et l’éducation
  • l’accès à des réseaux de soutien
  • l’accès à des conseils d’urgence

Certaines applications sont considérées comme dangereuses.

 

Une application dédiée à la prévention du suicide est à l’étude en France actuellement : Emma (Ecological Mental Momentary Assessment).

C’est une application Smartphone d’observation, de prédiction et d’intervention écologique pour des patients à haut risque suicidaire.

  • Elle s’appuie sur des questionnaires d’autoévaluation
  • Elle peut proposer automatiquement à ses utilisateurs d’avoir recours à différents modules de leur plan de sécurité ou de contacter leur service d’urgence

Le professeur de psychiatrie Philippe Courtet (Université de Montpellier) dirige cette recherche. Le développement d’Emma intègre également les avis et suggestions de personnes sujettes à des passages à l’acte suicidaire graves.

Une première étude clinique a d’abord cherché à mettre au point « un algorithme prédictif du risque de survenue d’un événement suicidaire », dont nous avons vu la définition. Il s’agissait également de tester

  • l’utilisation de l’appli
  • son acceptabilité
  • la satisfaction des patients quant à son utilisation

Cette étude a inclus 100 patients à haut risque suicidaire recrutés dans quatre hôpitaux universitaires (Montpellier, Lille, Brest, Créteil). Ces patients ont utilisé l’application durant les six mois suivant une hospitalisation pour comportement suicidaire.

Ils ont été aidés

  • pour installer l’application
  • pour la personnaliser, (désignation de personnes ressources, établissement d’un plan de sécurité individualisée avec des stratégies d’adaptation)

Le LIRMM ( Laboratoire d’Informatique de Robotique et de Microélectronique de Montpellier) traite actuellement les données recueillies grâce à Emma.

Un second essai clinique concernant 500 patients à haut risque évaluera l’efficacité de l’algorithme obtenu.

L’équipe Emma prévoit une coordination avec le dispositif VigilanS, qui a déjà fait ses preuves dans le télé-suivi des personnes suicidaires. Une étude sur six mois avec 632 patients participants évaluera l’apport de l’application au dispositif vigilanS.

 

Les auteurs d’un intéressant article développant ces questions soulignent plusieurs points, essentiels à nos yeux

  • Les AOC ne remplacent pas la rencontre clinique. Au contraire, « bien conçus et bien utilisé, ces nouveaux outils numériques peuvent augmenter la relation thérapeutique, l’étendre dans le temps et dans l’espace bien au-delà de la stricte situation traditionnelle de consultation »
  • Les nouvelles technologies créent pour les patients une nouvelle façon de s’objectiver, de se raconter, d’agir sur soi.
  • Les AOC contribuent à donner une nouvelle place au patient. En effet, celui-ci s’inscrit dans une dynamique d’autonomisation, d’empowerment, d’horizontalisation des rapports soignants soignés et de démocratie sanitaire.

L’article E-santé mentale et prévention du suicide expose l’ensemble de ces avancées. Il  a pour auteurs Margot Morgièvre (CHU Montpellier) , Charles-Edouard Notredame (CHU Lille) et le professeur Philippe Courtet (université de Montpellier), dans le numéro 256 (mars 2021) de la revue Santé Mentale « prévenir la réitération suicidaire ».

Margot Morgièvre et coll. ont récemment publié (août 2022) des résultats d’étape de l’étude Emma.

Leur conclusion est que ce dispositif semble pouvoir être proposé à des patients à haut risque suicidaire. Ils s’appuient pour l’affirmer sur la satisfaction exprimée par une cohorte de 75 usagers testés à différents moments de leur parcours de suivi. Ainsi, l’étude « Emma pourrait rapidement évoluer vers un outil supplémentaire dans la prévention du suicide » (in: Acceptability and satisfaction with emma, a smartphone application dedicated to suicide ecological assessment and prevention)

 

Le 3114

Un numéro national d’appel d’urgence dédié à la prévention du suicide a été ouvert le 1er octobre 2021 .

 

 

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